Que faire de la zététique? [2/3]
- Partie 1: Singer la science pour lutter contre les charlatans
- Partie 3 à venir
Avant-propos: retours sur la première partie#
Depuis sa publication, la première partie de cette série a eu droit à quelque retours et réponses. Ces dernières méritent aussi l’ajout de quelque clarifications au début de cette transition.
La mention des éditions book-e-book ne visait pas particulièrement à dire que la zététique était un business lucratif. Les chiffres publics sur les revenus de l’entreprise tendent effectivement à montrer que les revenus ne sont pas exceptionnels étant donné la longévité de l’entreprise. Cependant elle n’en reste pas moins un business et la motivation financière est un paramètre important à prendre en compte pour expliquer le débordement de cette maison d’édition dans tous les aspects des travaux de Broch. Les étudiants étant son public cible et très vulnérable à son autorité de professeur d’université, ceci explique probablement pourquoi son polycopié peut véritablement être qualifié de «vitrine» de book-e-book. Comme mentionné dans le texte l’idée n’était pas de faire de la rétrodiction, c’est à dire de considérer que la zététique et les cours de Broch ne pouvaient que devenir ce qu’ils sont devenus comme s’ils étaient condamnés à ne suivre qu’une trajectoire et une seule : celle qu’on leur connaît. Il s’agissait cependant de montrer leur faiblesse technique, leur manque de substance et d’illustrer la raison pour laquelle chaque page est essentiellement polluée par la mention de la maison d’édition, ou pourquoi la bibliographie est essentiellement composée d’auto-citation et d’ouvrage édités par Broch. La mention de la maison d’édition et du rôle important de Broch dans cette dernière soulignait cette motivation financière de manière indiscutable. De plus, cet article traitera encore des personnes éditées chez BEB et de leur proximité avec l’AFIS.
Par ailleurs, après investigation de ma part suite à la publication de la première partie, le “laboratoire de zététique”, semble n’avoir eu de laboratoire que le nom, étant donné l’absence de traces d’un quelconque statut administratif. Tout ce qui existait était une association, à laquelle l’université permettait gracieusement d’occuper certains locaux, et dont la sortie a fait grand bruit dans la presse. Il est par ailleurs amusant de voir que Broch s’est longtemps présenté comme directeur d’un «laboratoire» qui n’avait qu’un statut associatif, alors que c’était exactement ce qu’il reprochait avec Georges Charpak à Yves Lignon au tribunal dans les années 2000. Concernant cette histoire grotesque, nous vous renvoyons à l’article de l’AFIS écrit par Laurent Puech, lui-même témoin dans ce procès. Pour la nomination de Broch comme directeur du Laboratoire de zététique, vous pourrez consulter les minutes des jugements publiés sur le site de l’AFIS (à la fin de l’article en lien) ou sur le site de Broch.1
Si cela ne semble pas clair, il ne s’agit pas de prêter à Broch et à la zététique les mêmes velléités (ou le même talent) à faire de l’argent sur la crédulité des gens que chez les mystificateurs. En revanche, les fondations scientifiques de la zététique semblent aussi inexistantes que celles de l’homéopathie ou du développement personnel. La zététique, repose en réalité sur les mêmes pratiques charlatanesques que les pseudo-sciences qu’elle prétend dénoncer, telles que l’absence de source académique, l’utilisation de leviers institutionnels à outrance, l’appel à l’autorité ou l’invention d’entité institutionnelles soi-disant reconnues par le monde académique. Appuyons le propos, il ne s’agit pas de qualifier Broch et ses héritiers d’opportunistes, mais bien de charlatans. Cependant, là où beaucoup attribuent aux charlatans une volonté explicite d’exploiter la crédulité des gens, ce n’est pas notre but ici, et en réalité ça n’est pas très important. Tout comme dans le cas des pseudo-sciences, les zététiciens peuvent très bien croire de bonne foi à la justesse de leur pratique. Ce serait même un énième point commun avec celles qu’ils prétendent dénoncer. Le qualificatif de charlatan vient donc appuyer la similarité entre les pseudo-sciences, notamment les pseudo-médecines, et la zététique, qui s’est développée au sein d’une université sans aucun contrôle ni institutionnel, ni par les pairs reconnus. La zététique est, à son fondement, ni plus ni moins qu’une dérive pseudo-scientifique qui souffre de l’ensemble des mêmes biais qu’elle reproche aux autres croyances pseudo-scientifiques. Quant aux aspects de démystification des phénomènes paranormaux (suaire de Turin, coupeurs de feu etc.), ces aspects sont issus du milieu plus large rationalisme scientifique, ne sont pas spécifiques à la zététique et sont pour la plupart, sans grand intérêt pour la formation intellectuelle.
Ceci étant précisé, voyons justement en quoi la zététique et ses tenants nous ont démontré leur incompétence pour situer et évaluer la pertinence des discours, et à quel point l’extrême droite la plus dure les mène régulièrement par le bout du nez.
Introduction#
Dans l’article précédent nous avons vu comment la zététique version Broch ne se fondait sur aucune source scientifique, contrairement à ses prétentions. Nous avons aussi vu comment elle limitait la question des croyances à une problématique majoritairement individuelle: la culture scientifique serait inversement corrélée à des croyances irrationnelles. Pire, nous avons aussi vu comment elle réduisait l’analyse critique à avoir face aux discours à un ensemble de phrases toutes faites appliquées à des cas types vus et revus, ainsi que la légèreté de ses fondements en terme de sources.
Le discours rationaliste se fonde sur le genre d’argument qu’il reproche lui-même, c’est à dire un argument de bon sens. Initialement, la démarche zététique se présente comme la recherche d’une conclusion logique qui s’appuie exclusivement sur les faits, et notamment une analyse rigoureuse de ses derniers, se qualifiant de scientifique. Ce raisonnement s’appuie sur deux prémisses qui ne sont jamais discutées dans les discours rationaleux:
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Tout d’abord l’idée que les faits puissent être analysés de manière strictement scientifique et objective. Cette idée s’appuie sur la vision simpliste des sciences physiques ou des mathématiques selon laquelle les mesures physiques donnent des résultats uniques, indépendant des observateurs et mènent à des conclusions elles aussi uniques. Ceci peut effectivement être vrai dans les cas d’écoles simples ou certains problèmes d’ingénierie, mais devient beaucoup plus difficile à défendre dans la pratique scientifique, où l’interprétation des résultats et la défense de modèles donne lieu à des guerres de chapelles bien documentées.2
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Deuxièmement l’idée qu’une présentation factuelle d’une situation ou d’un ensemble d’éléments prévale sur toutes les autres sur l’unique base de la présentation objective des faits, et qu’aucune valeur n’entre en jeu dans l’interprétation et l’acceptation de telle ou telle argumentation. La zététique permettrait donc de se faire une opinion sur des situations complexes indépendamment de nos affects, de nos points de vue ou de nos valeurs. Dans le monde idéal de la zététique, tout le monde se met d’accord sur la même chose, avec le même raisonnement, sur la base des mêmes éléments.
Personne ne met de coté ses connaissances, ses valeurs et ses émotions lors de ses réflexions, surtout sur des problèmes complexes. La primauté d’une vérité objective convaincante et les singeries de scientificité dans la présentation du moindre élément de réflexion zététique reflètent eux-mêmes le système de valeurs sous-jacent à l’approche rationaleuse: il est possible d’avoir raison sur tout, et seule l’approche scientifique le permet. Heureusement, dans le monde réel, les individus réfléchissent en fonction de leurs vécus et de leurs affects, mettent les éléments qu’on leur apporte en perspective et c’est tout un ensemble de valeurs, avec lesquelles chacun·e sera plus ou moins d’accord, qui constituent le débat démocratique. La supériorité de l’approche soi-disant “purement scientifique” est par ailleurs une des excuses récurrente des technocraties occidentales pour shunter le débat démocratique et faire taire les critiques des populations qui pâtissent de leurs décisions.3
En plus de l’autoritarisme gouvernemental, ces approches peuvent vous rappeler les discours d’un petit milieu militant qui défend ses positions scandaleuses sur la base du même genre de présentation “objective et rationnelle” de faits prétendument occultés par le monde académique: le milieu négationniste.
Prétendre amener au public des éléments factuels, se présenter en expert universitaire et démontrer scientifiquement l’inexistence des chambres à gaz est effectivement la stratégie mise en place par l’antisémite Robert Faurisson au cours des années 70. Évidemment, les démonstrations de Faurisson n’ont aucun fondement factuel et sont l’exemple même du travestissement de la malhonnêteté intellectuelle la plus sordide en semblant de démonstration. Un élément important cependant est sa volonté de présenter ses conclusions comme dépassionnées, indépendante de toute tendance politique, et la simple application de la méthode scientifique sur un ensemble de faits qu’il aurait remarqué et ne ferait que présenter au public.
Faurisson fera scandale et n’aura aucune reconnaissance en dehors des militants d’extrême droite antisémite durant les 50 années suivant ses passages dans les médias. Cependant, le parallèle de sa démarche avec une approche zététicienne ne manquera pas à certains d’entre eux, et c’est de ces personnes que je souhaite vous parler aujourd’hui. Notamment de Paul-Éric Blanrue et Jean Bricmont.
Le cercle Zététique#
Petit historique#
Le nom de Paul-Éric Blanrue ne vous dit probablement rien. Il était pourtant connu dans les cercles sceptiques français comme fondateur du Cercle Zététique (CZ) au début des années 90 et directeur de publication des quelques cahiers zététiques qui en sont sortis. Avec sa belle gueule qui passait bien à la télé, il était aussi une figure médiatique française du petit monde de la zététique. L’Inathèque recense une trentaine d’apparitions télévisuelles de sa part pour, entre autres choses, attaquer la croyance dans des phénomènes paranormaux, notamment le suaire de Turin, sa spécialité. Il fera aussi la promotion à la télévision du prix-défi zététique, géré entre autre par le laboratoire de zététique et fera d’Henri Broch le président d’honneur et parrain de l’association du CZ, tenant ainsi à marquer une certaine filiation entre la structure parisienne et le physicien niçois.4 Ce dernier demandera le retrait de son parrainage et de son statut de président d’honneur en 2005, et vous comprendrez vite pourquoi.

Paul-Éric Blanrue sur le plateau de Philippe Collignon le 28 février 1998 en train de présenter le principe du prix-défi zététique, mis en place par Henri Broch, Gérard Majax et Jacques Théodor entre 1986 et 2002.
Broch était relativement seul à Nice dans les années 80, et le CZ était la seule association “zététique” française. Non pas de vulgarisation scientifique ou de diffusion de la science mais bien de “zététique”. La situation allait cependant changer. Au début des années 2000 la zététique est en plein essaimage et quelques associations sont apparues à travers la France. En plus du CZ on compte le CZLR (LR pour Languedoc Roussillon) fondé en 1996 et le tout nouveau CZRA (RA pour Rhône-Alpes cette fois), fondé en 2001. Coup de tonnerre cependant lorsque le CZRA (une vingtaine de personnes) claque la porte du CZ national dont il dépendait (3 personnes selon eux, 1 d’après la police) et décide, en 2003, de fonder l’Observatoire Zététique (OZ) pour “différents politiques” et méthodologiques. On trouvera un bref résumé de cette histoire de la part de Nicolas Vivant et Florent Martin au cours de diverses discussions des archives de la mailing-list “zététique”. Comme le rappelle Nicolas Vivant, le CZLR s’est aussi éloigné du CZ mais on ne saura pas exactement à partir de quand. Le retrait du parrainage d’Henri Broch en 2005, l’année de dissolution du CZ, s’est fait par une demande via courrier. Ce retrait sera pudiquement mentionné sur son site à partir de 2007. Étonnamment, les éditions BEB auront tout de même publié deux livres de Blanrue en 2003 et 2004 alors qu’il commençait à bien sentir le soufre.

Vous l'aurez vu de vos yeux vu. Bien que n'étant, heureusement, plus disponibles chez Book-e-book, les livres de Blanrue étaient référencés sur le site de Broch.
Blanrue a toujours été proche des mouvements royalistes légitimistes et donc de l’extrême droite. Il est aujourd’hui connu comme un antisémite militant déclaré et joue un rôle important pour comprendre une partie des critiques adressées à la zététique. Pour illustrer à quel point le bonhomme sent le soufre, en 2017 son amitié avec Yann Moix (et son apparition dans un de ses films) a causé de petits problèmes à ce dernier qui avait préfacé, en 2007, la première édition de son anthologie de propos antisémites, rééditée depuis par les éditions d’Alain Soral.5
Toujours est-il qu’avant les plateaux de TPMP, c’est chez Ardisson et Stéphane Bern que Blanrue ira défendre l’approche zét appliquée au paranormal et à l’histoire (par exemple ici, on peut trouver d’autres intervention télévisuelle sur le net), qu’il en fut donc une vitrine, et un des premiers publiés chez BEB. La mise au banc de Blanrue n’a par ailleurs pas été aussi nette que certains l’affirment. Ainsi, on pouvait le retrouver aux cotés de Broch pour une émission de télévision en 2006, soit après la dissolution du CZ.

Henri Broch et Paul-Éric Blanrue sur le plateau de l'Arène de France, présentée par Stéphane Bern le 4 Octobre 2006. Bizarrement, Blanrue n'est pas dans la liste des invités de l'archive de l'inathèque.
Blanrue finira par s’éloigner aussi du milieu zététique où il n’était de toute façon plus le bienvenu. Ses livres sur le couple Sarkozy-Bruni seront le sujet de ses derniers passages télé jusqu’en 2008, puisqu’en 2009 son livre ouvertement antisémite “Sarkozy, Israël et les juifs” lui fermera la plupart des médias grands publics.
D’après ses propres dires, Blanrue a été contacté par Robert Faurrisson lui-même au sujet du CZ. Bien que la véracité de cette histoire soit sujette à la caution, il semble évident que Faurisson lui-même ne pouvait pas manquer d’être attiré par une discipline vendue comme “l’art du doute”. Après avoir entretenu une relation d’amitié avec Faurrisson, Blanrue aurait remonté sa requête d’adhérer au CZ “sous pseudonyme” au bureau de l’association, demande qui sera apparemment acceptée. Aujourd’hui encore un de ses plus fervent défenseur de Faurisson, Blanrue prétendra de plus que l’association contenait déjà des membres favorables à ses idées. À la lecture des discussions autour des articles que le site hébergeait encore en 2007, on n’en sera pas surpris. Blanrue est aujourd’hui connu pour avoir, semble-t-il, présenté Faurisson à Dieudonné, avec qui il organisera d’ailleurs un de ses anniversaires au théâtre de la Main d’Or, et avoir réalisé un film sur lui, le tout en prétendant saluer sa “probité intellectuelle” et faire tout ceci sans aucune arrière pensée politique. Les habitués de la rhétorique d’extrême droite ne seront pas surpris.6
Le Cercle Zététique cessera assez vite ses activité malgré un site encore en ligne depuis très (trop) longtemps. Pour confirmer l’hypothèse de sympathie des derniers membres du CZ envers les idées antisémites, notons que Patrick Berger, président du CZ succédant à Blanrue, publiera à son tour en 2011 sur AgoraVox un article prêtant de grandes qualités au néonazi Vincent Reynouard et défendant une pétition demandant sa remise en liberté, pétition dont nous reparlerons plus loin. Selon le site REFLEXes il ouvrira aussi une radio libre invitant notamment l’antisémite Alain Soral ou le théoricien d’extrême droite Alain de Benoist. Belle conclusion qui illustre bien que sous couvert d’éducation populaire et de valeurs humanistes, la zététique peut très vite devenir un terrain d’épanouissement pour les idées racistes et la droite la plus dure.
L’histoire de l’extrême droite et de la zététique aurait pu s’arrêter là. Couper les ponts, cordon sanitaire et isolation, on attend que le feu s’éteigne sans leur faire de promotion, et que la fumée se dissipe. C’est plus ou moins ce qu’il s’est passé, les autres associations continuant de faire leur petites affaires entre elles dans leur coin. Arrêtons nous cependant pour essayer de comprendre ce que cette affaire nous dit déjà, via la manière dont les sceptiques en parlent et ce que l’on aurait pu attendre de la suite de l’histoire de la zététique en les écoutant.
10 years after#
On parle souvent de Blanrue pour faire du véritable déshonneur par association et rappeler que oui, l’extrême droite aujourd’hui ouvertement antisémite a elle aussi défendu la zététique. La réaction des zététiciens modernes est généralement de minimiser son impact ou sa présence et son importance dans le mouvement français. L’instant Blanrue est souvent relégué à un “détail de l’histoire” de la zététique dilué dans sa généalogie longue et millénaire. Cette expression attachée à Jean-Marie Le Pen a été reprise verbatim sur ce même sujet par Thomas C. Durand, représentant le plus en vue de la zététique sur internet, lors de son passage sur des radio libres d’extrême droite.
Jean-Michel Abrassart du comité Para a lui aussi donné son point de vue sur la question. On peut tout à fait comprendre le rejet de cette partie honteuse de l’histoire de son mouvement, et la question de savoir si la zététique “est d’extrême droite” n’a aucun intérêt. Les défenseurs de la discipline y répondent eux-mêmes : la zététique se présente comme une boîte à outils visant à “développer l’esprit critique”, quoique cela veuille dire. N’importe qui peut donc s’en servir car elle n’aurait aucune coloration politique. Ce n’est que récemment que les zététiciens ont commencé à admettre timidement que vouloir “développer l’esprit critique des citoyens” ou la culture scientifique7 est déjà un geste politiquement connoté.
L’objectif n’est pas de reprocher ici à la zététique ou au scepticisme scientifique de trouver leurs racines dans des idées dégueulasses. Ce serait historiquement faux et malhonnête. Les réactions à l’évocation de cet épisode illustrent cependant deux choses.
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D’une part comment la zététique façon Broch, avec sa volonté de rester neutre et rationnelle vis à vis des question politiques en fait une cible de choix pour les opportunistes suffisamment charismatiques. Vu la facilité avec laquelle elle a pu commencer à être utilisée comme cheval de Troie pour défendre des idées fausses et dégueulasses, on peut vraiment se demander si on est pas passé à deux doigts de la catastrophe pour le mouvement rationaliste.8
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D’autre part comment cette porosité est trivialisée et comment les actes documentés d’entrisme sont considérés comme anecdotiques et sans effet. Soit par des blagues douteuses, soit par une ignorance, feinte ou non, de l’importance des individus concernés.
Rendons cependant justice aux membres qui ont acté la scission avec le CZ. Il est tout à leur honneur que l’OZ se soit créé en revendiquant son indépendance du CZ et que le CZLR prenne aussi ses distances vis-à-vis du CZ. Mais une question particulièrement sérieuse se pose: est-ce que cette prise de distance est due à la zététique et à l’esprit critique ou non? En effet, Jean-Michel Abrassart répond sous sa vidéo:
Le fait que le Cercle Zététique était problématique ne fait aucun doute. Mon argument est qu’il ne faut pas en exagérer l’importance dans l’histoire du mouvement sceptique. Et la création de l’Observatoire Zététique en réaction montre que des mécanismes de défense ont fonctionné à l’époque (avant le Net tel qu’on le connaît aujourd’hui).
Réponse de Jean-Michel Abrassart sous sa vidéo “Le problème Blanrue”
À cette réponse on peut se demander de quels “mécanismes de défense” Abrassart peut bien être en train de parler? En effet le cercle zététique a été crée en 1993 et a gravité autour du mouvement zététique une dizaine d’années. Pire, le CZ est apparemment l’organe qui a donné son nom aux autres association, et ses membres se sont trouvés investis dans la promotion de la zététique sur les plus gros canaux grands publics de l’époque. Enfin on pourrait croire que, si mécanisme de défense il y avait, les personnes impliquées dans cette histoire, au moins dans la scission du début des années 2000, auraient redoublé de vigilance vis-à-vis des questions politiques et de leur relation par rapport à l’extrême droite.
Car si scission il y a eu, c’est bien pour des raisons politiques et par la mise en place d’une stratégie de cordon sanitaire vis-à-vis d’une association enfin identifiée à l’extrême droite. Et ce réflexe salutaire n’est aucunement motivé par les principes de la zététique, étant donné que ce cordon n’a rien de systématique, comme nous l’ont montré, ces dernières années.
Par ailleurs, cette histoire n’a manifestement rien enseigné aux figures les plus proéminentes de la zététique prétendant défendre l’esprit critique.
Jean Bricmont#
Un peu à l’image d’Henri Broch, Jean Bricmont est plus connu du public pour ses activités para-académiques que pour ses activités de chercheur en physique théorique à l’université catholique de Louvain. En plus de sa défense acharnée de l’interprétation Bohmienne de la mécanique quantique, ou plus précisément de la théorie de l’onde pilote de De Broglie-Bohm9, Jean Bricmont est un personnage remarquable pour deux choses:
- Son livre co-écrit avec Alan Sokal nommée “Impostures intellectuelles”
- Son antisémitisme carabiné
Il est difficile de faire un résumé de l’importance de Bricmont dans le paysage zététique sans refaire un résumé relativement condensé de la situation un peu chaotique du monde universitaire scientifique des années 90. Alors allons-y.
Jean Bricmont et la zététique#
Jean Bricmont est essentiellement connu par le grand public pour son livre “Impostures Intellectuelles”. Le livre prend directement racine dans la controverse des “Science wars” américaine, une crise académique qui démarre après la critique marginale faite par certains scientifiques envers la “gauche académique” américaine, quoi que ce terme recouvre. Les évènements les plus connus des “Science Wars” sont la publication d’un canular du physicien d’Alan Sokal et le livre qu’il a co-écrit avec Jean Bricmont. Le livre entier mériterait d’être détricoté pour montrer l’inanité de son contenu, et on en a déjà parlé ailleurs. Je reviendrai peut-être un jour sur sa généalogie intellectuelle afin de montrer comment ce livre s’inscrit en réalité dans une filiation réactionnaire, notamment en s’inspirant de “Higher Supersitions” de Gross et Levitt10. Pour notre propos, il est suffisant de savoir que le livre emploie diverses stratégies rhétoriques grossières pour décrédibiliser ses cibles auprès de son lectorat et faire avancer un agenda réactionnaire et obscurantiste sous couvert de dénonciation du charlatanisme.
La publication du livre trouvera un certain écho dans la presse française et lancera une vague de critiques, notamment mais pas seulement, envers les philosophes et sociologues qu’il dénonce nommément, français pour la plupart, vis-à-vis d’une non-scientificité de leur discours et d’une volonté de s’approprier la légitimité de “la Science”. Si on peut lui accorder ses analyses sur le non-sens des mathématiques mobilisées par Lacan en introduction, le reste du livre va en réalité plus loin que son objectif initial et tire à boulets rouges sur des disciplines entières des sciences sociales en agitant une panique morale fondée sur de prétendus “relativisme cognitif” et “postmodernité”. Ces concepts sont des travestissements des propos tenus par les auteurs concernés et n’ont pas de substance particulière dans le champ académique. 30 ans plus tard, on peut sans soucis dresser un parallèle avec l’utilisation des termes “woke” ou “islamo-gauchistes” par les réactionnaires et les imbéciles de tout poil pour parler du champ universitaire.11
Si la plupart des auteurs attaqués (et encore en vie à ce moment) ont préféré ne pas commenter la publication du livre, une tentative de réponse a été proposée dans le livre commun “Impostures Scientifiques” édité sous la direction de Baudouin Jurdant, professeur à Paris-VII et, entre autre, traducteur de Feyerabend et Ian Hacking. Pour ce recueil ont notamment participé des chercheurs qu’on peut difficilement qualifier d’incompétents sur le plan scientifique12 ainsi que plusieurs philosophes et anthropologues. Leur dénonciation de la démarche de Sokal et Bricmont est unanime, et contrairement à ce que ces derniers prétendent, émet des objections et des critiques de fond. “Impostures scientifiques” a été publié en 1998. Dans la préface de la seconde édition, en 1999, d’“Impostures Intellectuelles” on peut lire:
Personne, dans tous les comptes rendus et débats qui ont suivi la publication de notre livre, n’a présenté le moindre argument rationnel contre cette thèse, et presque personne n’a pris la peine de défendre même un seul des textes que nous critiquons.
La thèse en question est que le vocabulaire scientifique obscurcit le sens des textes critiqués. Ce point et la défense des textes sont abordés dans “Impostures Scientifiques” dont Sokal et Bricmont n’ont apparemment rien eu à faire. Par exemple les contributions de David Mermin ou Jean-Marc Lévy-Leblond abordent explicitement ces points, le premier en notant que les analogies mobilisées par Latour sont pertinentes là où les points obscurcis sont périphériques, le second notant que les sens obscurs dénoncés par Sokal et Bricmont ne sont pas seulement des récupérations, mais trouvent leur racine dans l’utilisation irréfléchie d’un vocabulaire imprécis par les physiciens eux même. Lévy-Leblond note aussi plusieurs critiques quand à l’intérêt même de l’entreprise des deux auteurs, ainsi que le contexte de mépris de la philosophie très présente chez les physiciens de l’époque. Ces critiques ne trouveront aucune réponse bien que deux phrases de l’article de Lévy-Leblond soient citées par Bricmont comme montrant qu’il leur concède certains points. Cette stratégie d’isoler des extraits pour ne pas répondre au texte est similaire au genre de méthode employé dans tout le livre. Malheureusement, “Impostures Scientifique” est difficile d’accès pour le grand public et parfois technique. Il sera moins plébiscité dans les milieux sceptiques que celui auquel il répond et restera relativement confidentiel. À l’inverse, “Impostures Intellectuelles” sera un succès en librairie auprès du grand public et régulièrement recommandé dans les conseils de lecture zététiciens.
Car l’impact sur la zététique du livre de Sokal et Bricmont est indéniable. On le retrouve encore régulièrement mis en avant dans les contenus estampillés zet des plus anecdotiques, aux plus notables ou dans les conseils de lectures les plus communs du milieu. L’interview des 20 ans du canular de Sokal est mis en avant par plusieurs gros comptes sceptiques, et les livres des deux larrons sont assidûment lus par la communauté. Si vous trainez suffisamment longtemps dans le milieu sceptique, vous entendrez parler de Sokal et Bricmont. Un point que je veux appuyer ici est le contraste entre cet impact sur un milieu qui se réclame de l’esprit critique et l’emploi dans le livre de toutes les stratégies rhétoriques que ce milieu prétend mettre à jour et combattre. Il s’agit d’un nouvel indice du caractère de la zététique, plus proche de la posture que du véritable effort communautaire de vérification et d’analyse des sources. Si la zététique était à la hauteur de ses prétentions, analysait et recoupait ses sources comme elle le prétend, jamais un tel livre n’aurait eu autant d’impact dans le milieu du scepticisme. Malheureusement, sa popularité et ce manque de recul font que Bricmont et Sokal ont coupé l’herbe sous le pied d’une part importante des sciences humaines et sociales qui auraient pu corriger les importantes lacunes du cadre de pensée zététique.
Un exemple de l’importance de ce livre et du canular de Sokal dans la communauté a été le partage par Hygiène Mentale, un membre de l’Observatoire Zététique dont les productions ont une visibilité importante sur internet, de l’interview de Sokal et Bricmont pour les 20 ans de leur livre.
![Le texte du poste dit: Impostures intellectuelles, 20 ans après Entretien avec Alan Sokal et Jean Bricmont Voici la première partie de cette interview. Il y est notamment question de l’évolution du postmodernisme depuis la publication du livre, des canulars « à la Sokal » récents et de l’usage des mathématiques par Alain Badiou. [Edit] Faites attention a rester sur le sujet de la vidéo dans les commentaires. Il faut juger le propos, pas la bouche qui l'articule. Je ne cautionne pas du tout les positions politiques de Bricmont. Seuls l'impact de l'affaire Sokal sur les publications scientifiques m'intéresse ici.](/fr/images/blog/Bric_Broc4.png)
Partage d'une interview de Bricmont et Sokal par la page d'Hygiène Mentale. La section [Edit] est arrivée après que certaines personnes aient râlé dans les commentaires.
Pour enfoncer le clou, Jean Bricmont a par ailleurs été rapporteur de la première thèse “en zététique” du fervent défenseur de l’esprit critique Richard Monvoisin, dirigé par Henri Broch. Bricmont est abondamment cité dans cette thèse, notamment sous un format peu commun de « discussion informelle » dans la note 79. Le manuscrit a son propre chapitre « intermezzo » (directement inspiré des livres de Bricmont) et utilise une définition de “la science” proposée par Bricmont comme base de travail. Une référence bien légère là où une littérature abondante et sérieuse existe sur ce concept dans la philosophie des sciences. La proximité intellectuelle (et personnelle) entre Bricmont et le milieu zét' sont, de fait, impossibles à cacher. Cette thèse s’inscrit indéniablement dans la filiation des Science wars et des livres de Gross, Levitt, Sokal et Bricmont en faisant plus que les citer abondamment: elle prend les livres et leurs auteurs comme cadre intellectuel pour justifier le développement d’une didactique de l’esprit critique, ni plus ni moins.13
Notons par ailleurs que la thèse était inscrite dans la discipline de la “didactique des sciences”. La didactique des sciences est un champ de recherche tout à fait sérieux existant dans le champ académique, mais dont les travaux ne sont que rarement cités dans la thèse de Monvoisin et qui n’était représentée par aucun des membres du jury. Cette thèse ayant été dirigée par Henri Broch, qui a vertement critiqué la thèse d’Élisabeth Teyssier, pointant notamment l’incompétence de son jury, il y a une certaine ironie dans la situation. On peut d’ailleurs penser à d’autres thèses grotesques où la compétence des jurys a été mise en question, comme celles des frères Bogdanov ou d’Idriss Aberkane. Il n’y a aucune raison de faire deux poids deux mesures avec la zététique: il s’agit d’une pseudoscience qui se comporte comme les autres pseudosciences. En tant que doctorant, Monvoisin a probablement été pris dans des dynamiques sur lesquelles il n’avait pas forcément de recul à l’époque, et la fascination pour des chercheurs très très sérieux comme Broch et Bricmont a sans doute joué un rôle dans ce manque d’esprit critique. Cependant, son manuscrit de thèse est finalement une bonne démonstration que les bonnes volontés (et même une politisation très ancrée à gauche) ne font pas forcément le poids face aux dynamiques de pouvoir en place. Il est donc important d’identifier ces dynamiques et de les mettre en évidence pour pouvoir les endiguer.
On peut ainsi lire des choses étranges dans la thèse de Richard Monvoisin, comme l’introduction de la partie 4.4.5.214 qui contient une citation d’Alain De Benoist, intellectuel indubitablement d’extrême droite, supposée illustrer qu’il est abusif de faire un rapprochement entre les militants d’extrême droite et certains mouvements eux aussi d’extrême droite tels que le nazisme. Cette section est aussi intéressante en ce qu’elle permet d’illustrer la filiation avec les livres de Gross et Levitt, ainsi que le fait que leur argumentation sur certains excès supposés de la gauche est prise pour argent comptant. Il s’agit avant tout de ripoliner la réputation de Bricmont en reprenant son narratif des Science Wars, et avant tout d’une belle leçon d’esprit critique.

Extrait de la thèse de Monvoisin
Une autre illustration de paralogisme est donnée un peu plus loin dans le texte en citant une émission de télévision dans laquelle Maud Kristen, voyante célèbre, a comparé en direct des caricatures de voyants contenues dans les livres de Broch et aux caricatures racistes du Ku Klux Klan pour illustrer sa mauvaise foi et son mépris. Ironiquement, dans la même émission, Broch est assis à coté de Blanrue, et tous deux se soutiennent contre Kristen. Vous l’aurez compris, il s’agit de la même émission présentée par Bern durant laquelle j’ai montré Broch et Blanrue assis côte à côte.
Bricmont préfacera aussi des livres publiés chez BEB, qui publiera des livres de membres de l’AFIS, dont il a été président de 2001 à 2006 puis président d’honneur. Il publiait encore régulièrement dans leur magazine Science et Pseudosciences (S&P) jusqu’en 2019. Il donnait aussi encore des conférence à la société française de physique ou à l’académie royale de Belgique dont il fait partie depuis 2004. . Brigitte Axelrad, éditée elle aussi chez BEB, sera chargée du compte rendu d’une présentation de Bricmont à la Société Française de Physique publiée dans S&P.
Nous avons dit depuis le début de cette section que Jean Bricmont était, en parallèle de ses activités dans le milieu zététicien, un antisémite connu et un promoteur d’idées d’extrême droite. Dans la section suivante, nous allons maintenant justifier ce propos, bien que certaines de ses positions visibles dans ses productions laissaient peu de place au doute.
Jean Bricmont et l’extrème-droite#
Les responsables de Conspiracy Watch, Pierre-André Taguieff ou encore Bernard Henri-Lévy, qui ne sont pourtant pas des radicaux d’extrême-gauche, n’hésitent pas à qualifier Jean Bricmont de conspirationniste antisémite. L’opinion de ces personnes n’est présentée que pour montrer le caractère consensuel de l’antisémitisme de Bricmont qui s’étend donc de l’extrême-gauche antiraciste à certaines franges de la droite assez dure. Rudy Reischstadt notera par exemple en 2015 sa participation au congrès “Axis for Peace” de 2005 organisé par le Réseau Voltaire, réseau de presse conspirationniste de Thierry Meyssan, déjà notoirement négationniste pour ses livres publiés en 2002. Ce congrès, a vu la participation de diverses figures notoires de l’antisémitisme français telles que Dieudonné ou Jacques Cheminade. La participation subséquente de Bricmont aux chaînes “RT news”, chaîne de propagande russe, puis ses interventions répétées sur diverses chaînes youtube d’extrême droite (Cercle Cobalt, Cercle des volontaires, Cercle Aristote, agenceinfolibre etc.), notamment chez “Le Média pour tous” de Vincent Lapierre, youtubeur et essayiste proche de l’extrême droite chez qui Bricmont intervient régulièrement, ne font que confirmer une tendance déjà visible dès le début des années 2000. La réédition d’un des livres de Bricmont par Lapierre signe son affinité avec les milieux souverainistes proches du conspirationnisme et de l’antisémitisme ainsi que son éloignement définitif du peu de milieux “plus à gauche” où il a pu intervenir. Mais quels signes permettaient de prédire une telle trajectoire?
Après avoir été approché par le Cercle Zététique de Blanrue pour une interview, Bricmont a pourtant exprimé son refus de collaborer directement avec ce dernier sur la lutte contre les pseudosciences dans la société civile. Cependant, après la publication du livre antisémite de Blanrue “Sarkozy, Israël et les Juifs” en 2009, le collectif antifasciste REFLEXes le présentera comme celui ayant trouvé un éditeur pour le livre. Bricmont, cité dans le livre, répondra la même année qu’il n’a pas trouvé lui-même l’éditeur en question, mais qu’il aurait bien aimé. Il n’est pas étonnant, on le retrouvera en 2010 comme premier signataire de la pétition initiée par Blanrue contre la loi Gayssot, loi punissant pénalement la promotion de thèse négationnistes.15 ainsi que la libération du militant négationniste et néo-nazi Vincent Reynouard. Derrière la signature de Bricmont on retrouvera des personnalités d’extrême droite ou négationnistes connues comme Dieudonné, Robert Ménard ou Yann Moix. En 2012 il préfacera aussi le livre La Parabole d’Esther du conspirationniste antisémite Gilad Atzmon, et plus on creuse, plus on trouve.
Cet aspect de la réputation de Bricmont a été longtemps mis sous le tapis et ladite réputation s’est limitée à celle d’un “réaliste naïf” qui ne fait que “poser des questions pour comprendre ce que disent les gens en face”. Bricmont est, en effet, un habitué des commentaires à la “je ne comprends pas” ou “je veux bien qu’on m’explique” après avoir caricaturé les positions qu’il critique, comme dans son livre.16 Cette rhétorique est en effet savamment mise en place depuis “Impostures Intellectuelles” puisque dans leur livre, Bricmont et Sokal prétendent simplement:
… avoir démontré, au-delà de tout doute raisonnable, que certains penseurs célèbres ont commis de grossiers abus du vocabulaire scientifique, ce qui loin de clarifier leurs idées, a encore obscurci leurs discours.
Impostures Intellectuelles, préface de la seconde édition
avec comme seul argument que selon eux ces abus obscurcissent le sens des textes et relèvent donc soit “de l’incompétence grossière” ou de la “fraude délibérée” (voir la note 5 de la préface pour le faux dilemme qu’ils proposent). Notons que lorsqu’ils reprochent aux textes de ne pas fournir d’argument rationnel, ils font en réalité un double standard puisque le fait qu’ils ne comprennent pas un texte de philosophie n’est pas lui-même un argument rationnel, mais subjectif. Ils ne critiquent par ailleurs à aucune moment le contenu global des textes cités, mais uniquement les points de détails qu’ils estiment incorrects, tout en prétendant que ces aspects anecdotiquement incorrects démontrent la fragilité de l’ensemble des raisonnements.
En plus de ses citations abondantes dans son manuscrit, Richard Monvoisin interviewera Bricmont pour le compte du Cortecs en 2010 (soit 3 ans après sa soutenance de thèse) sur divers sujets comme, par exemple, la loi Gayssot, sujet de compétence bien connu de tous les physiciens. Un choix plutôt remarquable étant donné sa signature concomittante de la pétition de Blanrue. Il lui a offert alors une tribune libre lui permettant de sortir des arguments typiques des discours confusionnistes tels que “la loi gayssot renforce le négationnisme”, “c’est la faute à la gauche bien pensante si les gens deviennent d’extrême droite” ou de justifier sa signature de la pétition en disant “toutes les personnes qui l’ont signée n’était pas d’extrême droite”. Et, bien que Monvoisin ait posé ouvertement la question de la réalité du génocide juif, Bricmont aura pu botter en touche, laissant Monvoisin sans réponse claire, comme le ferait tout négationniste prudent. Monvoisin recommandera régulièrement la lecture de ses livres, organisera des conférences avec lui sur la liberté d’expression en 2015, époque où Bricmont avait déjà pris le parti des négationnistes, ou relaiera ses conférences sur la nature de la science. Bricmont aura même droit à sa petite promo pour l’un de ses livres (celui réédité par Vincent Lapierre), avec relai des vidéos issues de chaînes d’extrême droite Soralienne-Dieudonnistes. Bien qu’ayant compris le problème depuis quelque années et ne remettant plus en question son antisémitisme, Monvoisin citait encore Bricmont pour le compte du Cortecs en 2017.
Ailleurs on retrouvera encore Bricmont au micro du podcast scepticisme scientifique pour leur épisode 406 en 2018 illustrant à la perfection les “mécanismes de défense” dont parlait Jean-Michel Abrassart. Et si la situation a peut-être changé, et insistons sur bien sur le “peut-être”, il n’est pas exclu que l’on trouve encore des invitations de Bricmont dans le monde sceptique entre 2018 et aujourd’hui, le moindre des constats sera que ça fait quand même beaucoup.
Double conclusion#
Les histoires de Bricmont et Blanrue illustrent deux choses. Premièrement une certaine complaisance historique et de fait du milieu zététique avec des personnes qui ont des liens avec les complotistes antisémites d’extrême droite. Et à la réponse classique qu’il existe aussi du complotisme et de l’antisémitisme à (l’extrême-)gauche on répondra que cela est vrai. Mais que c’est un sujet totalement différent de l’entrisme du complotisme et de l’antisémitisme d’extrême droite dans la sphère zététique, et que si les idées complotistes présentes à gauche sont régulièrement dénoncées par le milieu zét, c’est beaucoup moins le cas des idées d’extrême droite, notamment quand elles font leur lit dans ledit milieu.
Il ne s’agit pas de dire via ces exemples que les acteurs zététiciens en question ont consciemment adhéré aux idées de Blanrue et Bricmont, mais que les relations personnelles et, surtout, la tolérance pour leurs idées, doublée d’une capacité d’analyse politique nullifiée par le cadre intellectuel inopérant de la zététique, les ont empêché d’avoir un véritable regard critique et les a laissé donner une plate-forme à de véritables militants d’extrême droite. Il est intéressant de constater que les moments de désengagement se sont fait sur des questions de valeurs et des différents de nature politique après des périodes de fréquentation relativement longues, une quinzaine d’années dans les deux cas. Car la raison principale de la facilité des militants d’extrême droite à rentrer dans les milieux sceptiques est autant à attribuer à un manque de culture politique, une incapacité à reconnaître les discours d’extrême droite ou le terreau la favorisant mais aussi à la surconfiance intellectuelle que donne la zététique là où cette dernière est en réalité une source de faiblesse grossière. La zététique, dans ce cadre, présente donc un risque bien plus important pour la formation intellectuelle que la plupart des croyances innocentes qu’elle prétend combattre. À titre personnel, bien que pour des raisons différentes, je n’aurais aucun mal à la catégoriser dans le même registre que des idées à première vue ridicules-mais-rigolotes comme la terre plate, qui se révèlent finalement être un énième pipeline vers les idées antisémites et l’extrême droite. Nous verrons dans un prochain article en quoi ce parallèle n’est pas totalement infondé.
Ce problème du milieu zététique est toujours d’actualité et ZEM avait déjà pu l’aborder ici. La volonté de “neutralité politique” de la zététique, et sa mise en avant d’un scepticisme systématique sont en pratique des éléments qui favorisent le développement des rhétoriques d’extrême droite et dont la mobilisation nécessite une vigilance accrue et une intransigeance face à cette dernière. Elle peut avancer masquée, protégée par le bénéfice du doute, empoisonnant la discussion jusqu’à ce qu’elle soit découverte. Par exemple, le rapport lénifiant à la vérité des discours, calqué sur une vision caricaturale des sciences de la nature comme présentée par Broch et Bricmont, rend les zététiciens incapables de cerner les discours dans leur contexte, voire même de s’engager de bonne foi avec eux. Le niveau de preuve demandé pour vérifier la plus simple affirmation devient si grotesquement élevé (mathématisation des phénomènes, reproductibilité, falsifiabilité…) qu’en dehors de ce qui est consensuel dans un milieu académique très restreint, tout peut-être remis en question. Pire encore, la parole de certains scientifiques est alors perçue comme une source fiable là où celle d’autres intellectuels est mécaniquement diminuée. De manière remarquable, les discours critiques un peu complexes sont souvent assimilés à du charabia et les auteurs rarement lus avec honnêteté.
Secondement, l’influence que Bricmont a eu sur sur la zététique au niveau de sa vision des sciences a orienté les centres d’intérêt de la communauté et le type de sources que cette dernière acceptait. N’importe qui ayant un tant soit peu interagi avec le milieu zététique aura immanquablement eu droit à une demande de source systématique pour justifier ses propos, et à une acceptation ou un rejet arbitraire selon qu’il s’agissait ou non de propos tenus par “une source scientifique” acceptable. Le discours clamant que les SHS « ne sont pas des sciences » et peuvent de fait être rejetées sur ce simple critère, prend ses racines dans l’influence immense que le livre de Bricmont et Sokal, Imposture Intellectuelle, aura eu sur les sphères zététiques en y important les Sciences Wars jusqu’alors état-uniennes.
Cette influence s’appuie cependant totalement sur son statut de physicien parlant, pour l’essentiel, en dehors de son champ de compétence, avec la seule légitimité du dit statut de physicien. Ces mécanismes sont les mêmes ceux utilisés par Broch. Un comble pour une discipline qui prétend rétablir le dialogue entre les experts des champs disciplinaires concernés et le grand public. En réalité, des scientifiques des sciences fondamentales ont court-circuité le lien entre d’autres champs de recherche et le grand public. À ce titre on peut noter un schéma similaire avec d’autres chercheurs comme Richard Dawkins qui s’est improvisé une carrière d’apologétiste amateur dans les milieux sceptiques sur la seule base de son statut de professeur de biologie de l’évolution. Une remarque à laquelle il est amusant de voir Monvoisin acquiescer quand elle est formulée face à lui 14 ans après sa thèse.
Au final ce que nous disent ces histoires c’est que la zététique n’a pas vraiment les outils pour détecter les discours manipulateurs au delà de cas relativement triviaux, et que le rapport qu’elle propose aux discours la rend perméable à des manipulations grossières. En s’imaginant capable de traiter des problèmes complexes elle se rend en réalité aveugle à tous les pièges dans lesquelles elle est prête à tomber naïvement. Par ailleurs elle ne fait montre d’aucune protection contre les dérives vers des discours complotistes ou assimilés de ses défenseurs. Récemment encore, on pouvait entendre une conférence grotesque sur le wokisme au CZLR dans la droite lignée intellectuelle des livres mentionnés, et montrant quelle place “la nuance” zététique laisse a la propagande et aux éléments de langage de la droite. En témoigne le simple emploi du mot wokisme, ou le relai direct du narratif d’extrême droite sur les évènements d’Evergreen. On trouvera un détricotage de cette propagande en français ici.
Les recherches personnelles sur le “sujet” sont, sans surprise, extrêmement légères et la présentation n’est pas capable de restituer correctement le moindre discours ou argument militant critiqué. Le temps des questions et commentaires montre la part belle laissée aux truismes tels que “J’ai un ami noir qui n’est pas d’accord.” et “Le racisme français était pas si violent dans les années 50 contrairement aux États-Unis.”. Incroyable esprit critique qui se fait le relai des paniques morales les plus grossières. À force d’exemples, il va être difficile de ne pas conclure que l’absence d’esprit critique est consubstantiel à la pratique de la zététique qui, au final, se résume pour trop de monde à dicter quoi penser pour ne pas être traité de tenant, d’idéologue, ou d’idiot, plutôt qu’à expliquer correctement comment mieux penser.
De la zététique historique prè-internet, la zététique 1.0 comme disent certains, mon constat est relativement simple:
Il n’y a rien à sauver.
Le cadre intellectuel de la zététique est une poubelle qui rend stupides celles et ceux qui la pratiquent en leur faisant singer la méthode scientifique et en n’ayant pour seul effet que de renforcer leurs croyances les moins fondées.
Dans la dernière partie nous verrons l’état des lieux moderne de la zététique et pourquoi il faudrait tirer un cordon sanitaire sur tous ces défenseurs, notamment les plus visibles.
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De manière cocasse, ces comptes-rendus comptent des liens vers le site du problématique “Cercle Zététique” dont nous parlons dans l’article. ↩︎
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Lire par exemple “La Science en Action” de Bruno Latour sur le cas Guillemin. ↩︎
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Il existe une longue littérature sur ces questions. Je suggèrerai le très bon “Les Sciences dans la Mêlée” de Bernadette Bensaude-Vincent et Gabriel Dorthe, ou “Adieu La Raison” de Paul Feyerabend qui revient aussi sur les problèmes posés par ce genre d’approche. Il existe tout une littérature décoloniale sur ces questions que je connais malheureusement beaucoup moins. Pour des exemples contemporains et mondiaux, le cas de l’imposition de l’IA par la technocratie capitaliste en est un autre exemple que nous subissons tous et toutes à tous les niveaux. ↩︎
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De manière amusante, la page wikipedia du laboratoire de zététique était initialement une page de redirection depuis celle du Cercle Zététique tellement la frontière entre les deux structures était floue. On notera aussi le retrait récent de la mention de “structure universitaire”. ↩︎
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Moix a par ailleurs dû s’expliquer sur ses dessins et ses textes antisémites qu’il a dit être “des erreurs de jeunesse”, mais c’est une autre histoire. ↩︎
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Bien que je ne sois pas d’accord avec beaucoup de positions présentées sur le site ahtéisme.org, on trouvera d’autres éléments sur Blanrue ici. ↩︎
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Les zététiciens mélangent allègrement culture scientifique et esprit critique dans une étrange bouillie conceptuelle, et on ne sait plus ce qu’ils entendent par l’un ou par l’autre. ↩︎
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Le rapport entre rationalisme et extrême droite ne commençait pas là non plus comme le rappelle le Projet Crank de Pierre Lagrange qui a réalisé un bref historique des mouvements rationalistes et de la zététique sur youtube. On notera la présence de l’extrême droite dans les instances même de l’Union Rationaliste par l’intermédiaire de la personne de Robert Imber-Nergal. ↩︎
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Cette interprétation de la théorie quantique est relativement marginale, en particulier parce qu’elle est actuellement irréconciliable avec la théorie de la relativité générale. La théorie a notamment du mal à expliquer certains phénomènes spécifiquement quantiques, comme l’intrication (un élément clef des expériences d’Alain Aspect, Nobel 2022). Aller plus loin dans ce problème devient relativement technique et hors-sujet, mais c’est un détail loin d’être anodin contrairement à ce que Bricmont prétend. ↩︎
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Si on relit ce livre, on y trouve pêle-mêle du climatoscepticisme, de l’homophobie ou du racisme sous couvert de rationalisme scientifique. Que de joie. ↩︎
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Dont notre ancienne ministre de l’enseignement supérieure Mme Frédérique Vidal. ↩︎
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Tels que Jean-Marc Lévy-Leblond, Jean-Luc Gautero, Amy Dahan, Patrick Petitjean, Andrée Bergeron ou David Mermin. ↩︎
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Sans dédouaner complètement Richard Monvoisin, le rôle des encadrants de thèse est de donner et vérifier le sérieux du cadre intellectuel à leurs étudiants. On ne peut que constater que celui offert à Monvoisin par Broch était, à l’image des fondations de ses cours, intellectuellement nul à chier. ↩︎
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Le plan lui-même est très confus et assez peu académique. ↩︎
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Blanrue sera d’ailleurs condamné quelque années plus tard pour son livre sur Faurisson au motif de cette loi. ↩︎
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Cette stratégie rhétorique de mauvaise foi qui est en réalité proche de celle du “Just asking questions” qu’on retrouve notamment dans divers milieux complotistes. Quand on vous dit que sa trajectoire finale n’a rien de surprenant, c’est pas une blague. ↩︎